LE TRAIN JAUNE DE CERDAGNE      -     Michel Krempper - novembre 2000
 
Les Français n'aimeraient-ils pas leurs trains?  A en juger la rareté des émissions philatéliques qui leur sont consacrées, on pourrait le croire. D'autant que les autres moyens de transports terrestres ne sont pas mieux servis par l'administration postale de notre pays. A ce jour, aucun métro de province, aucun tramway moderne, sans parler car ou bus ne sont sortis des rotatives de l'Institut d'émission.(*). Seuls, le métro de Paris, le RER, le TGV ont été timbrifiés ces dernières décennies. Rien à voir avec le foisonnement d'émissions venues d'Allemagne ou d'Autriche, d'Asie et même d'Afrique, et d'où nous proviennent régulièrement à peu près tous les types d'engins terrestres guidés, mis au point par l'ingénierie ferroviaire.

 C'est pourquoi, même si ce timbre n'est pas une réussite esthétique, on peut se réjouir de l'émission du 14 juillet dernier consacrée au Train Jaune de Cerdagne. A la rencontre de trois domaines, cette émission intéresse en fait aussi bien la thématique des ponts et des viaducs que la thématique régionale et celle des chemins de fer.

                                                            Emission du 14- 07- 2000,  YT n°3338
  
 
(*) Depuis la parution de cet article dans le Bulletin de l'A.F.T.P. en 2001, deux timbres ont été émis, , notamment le timbre YT3661, tramway de Bordeaux. et celui du tramway de Nantes.
 

 


La ligne de Villefranche-de-Conflent à Latour-de-Carol


 D'abord un petit rappel d'ordre historique. La Cerdagne est un bassin intérieur situé de part et d'autre de la frontière des Pyrénées, partagé entre la France et l'Espagne par le Traité de1659, dit des Pyrénées. Depuis cette date, sa partie française participe à l'histoire générale du Roussillon, réuni à la couronne de France par ce même Traité de paix. Son blason en a les couleurs: sang et or, qui ont été reprises sur le Train jaune. Le Roussillon constitue la majeure partie des Pyrénées orientales. La Cerdagne est un plateau d'une altitude moyenne de 1200 mètres . La vallée du Têt, très encaissée, offre l'une de ses principales voies d'accès en provenance de Perpignan.

 

 

 

Une desserte ferroviaire établie le long de cette vallée à partir de Villefranche-de-Conflent est assurée depuis 1910-1911. Aujourd'hui la ligne SNCF, dite de Cerdagne, représente une longueur de 63,561km. Mais étant donné la topographie, sa réalisation s'est étalée sur près de 50 ans ! (Villefranche est à 424m d'altitude, La Tour-de-Carol, à l'autre extrémité, est à 1231m ; moyennant quoi, les trains passent 390 courbes...)

Lancé en 1881 par la compagnie du Chemin de fer de Perpignan à Prades, le projet fut repris par la Compagnie du Midi, à partir de 1883, sous le régime de la concession,  pour une longueur de 56 km de ligne. Celle-ci fut ouverte en deux temps: le 17.7.1910, pour un premier tronçon de 28 km, et le 28.6.1911 pour les 26 km restant. En 1912 fut décidé un prolongement de 6 km en direction de le future gare internationale de Latour-de-Carol. Mais la ligne de Cerdagne ne rejoint cette station  du Transpyrénéen oriental Toulouse -Barcelone que le 6 août 1927.

        Carte postale moderne ( Ediciones Fisa. Espagne)

 

 

 





 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Pour des raisons d'économie, et bien que Villefranche-de-Conflent soit desservie depuis Perpignan par une voie à écartement normal de 1.445m, c'est la voie à écartement métrique que l'on choisit en 1902 pour la ligne de Cerdagne. Des rails de type Vignole l'équipent, d'un poids de 30kg/m,  plus légers que les rails double Champignon utilisés par la Compagnie du Midi sur les autres lignes.

Pour des raisons de sécurité, le Ministère des Travaux Publics imposa par ailleurs la traction électrique, certaines déclivités atteignant 6%.L'alimentation électrique en 850 volts s'effectue au moyen d'un troisième rail fixé sur des supports en grès. Ainsi, ce train ne comporte pas de ligne aérienne et pour le béotien, les motrices ont une allure singulière, peu conforme à l'image  classique du chemin de fer électrique muni de son pantographe et surmonté de caténaires. En revanche, il doit plus au métro parisien. Le courant est fourni via sept sous-stations par les quatre unités du complexe hydraulique de La Cassagne, dont la pièce maîtresse est le barrage des Bouillouses. Réservoir de 17.500.000 m3,  ce dernier vit le jour en 1909.

L'ensemble de la desserte compte 6 gares à arrêt obligatoire et 14 haltes. A 1593 m d'altitude, la petite gare de Bolquère-Eyne est la plus haute de France. La ligne comporte aussi 650 ouvrages d'art dont 17 tunnels, 3 galeries. 15 viaducs et 14 ponts.

Deux ouvrages d'art particulièrement remarquables

Sur la ligne de Cerdagne, deux ouvrages sont réellement exceptionnels, en fait deux ponts:
Il s'agit d'un coté du pont GISCLARD*, à l'origine pont de la Cassagne, situé au km 25,250 et établi à 80 m au -dessus de la Têt. Conçu par le commandant Albert Gisclard, c'est un pont suspendu d'une portée de 156 m sur la portée centrale, à laquelle s'ajoutent deux travées de rive de 39 m chacune et une  petite travée à treillis de 19 m de portée pour un tablier d'une longueur totale de 253 m.
D'un type totalement nouveau pour l'époque, il comporte une ferme de suspension composée de triangles géométriquement indéformables, mais librement dilatables: les haubans qui soutiennent le tablier sont accrochés à des pylones hauts de trente mètres et sont en effet maintenus rectilignes, par un câble de suspension classique.

Cette méthode permit de réaliser un pont à la fois robuste et léger, qui élude les phénomènes de résonance des vibrations au passage d'une charge telle un train et autorise le passage des convois sans oscillations. Le commandant trouva malheureusement la mort le 31 octobre 1909, 26 jours avant l'inauguration, lors des essais de charge et de stabilité.(
*) Mais sa réalisation , qui avait été longtemps auparavant expérimentée par Gisclard lors de ses séjours aux colonies, inspira différents autres ouvrages en France, tous très légers, économiques et néanmoins élégants (par exemple, le viaduc des Rochers -Noirs en Corrèze).

Autre ouvrage remarquable: le viaduc localisé entre Thuès et Fontpédrouse au kilomètre 17,928 et conçu par l'ingénieur des Ponts et Chaussées Paul SÉJOURNÉ (1851--1939), promu plus tard Inspecteur Général.
Professeur à l'E.N.P.C., cet ingénieur porta l'art des ponts maçonnés à son apogée. On lui doit notamment le traité célèbre "Les Grandes Voûtes" (6 tomes édités de 1913 à 1916) . Il définit et réalisa lui-même de nombreux ouvrages de pierres maçonnées qui firent longtemps référence: ainsi par exemple le Pont Adolphe à Luxembourg achevé en 1903 , qui avec une portée de 84,65m. détint un temps, le record mondial d'ouverture. (Signalons que ce type d'ouvrage sera construit jusque dans les années 50,  puis abandonné en raison du coût excessif du montage des cintres).

 Carte postale de1962
Avec le viaduc de Fontpédrouse, Séjourné réalisa un véritable chef d'oeuvre de la construction en maçonnerie, en même temps qu'un magnifique ouvrage d'art. Construit en 1906-1908, il s'étage sur deux niveaux: une première voûte ogivale de 30 mètres d'ouverture est surmontée de 4 arches de 17 mètres avec voûtelettes d'allègement ( destinées à alléger la construction). cette partie centrale est longue de 85mètres et haute de 65. Deux arches côté Villefranche et dix arches côté Latour-de-Carol, toutes de 9 mètres d'ouverture, complètent l'ensemble de 236,70 m de longueur. L'utilisation du granit, la voûte en tiers-point et les piles crénelées des culées évoquent des réminiscences médiévales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 Schéma d'élévation extrait du livre de Marcel Prade:
"Ponts & viaducs au XIXe siècle: Techniques nouvelles et grandes réalisations françaises
" 1988- Editions Errance Paris - Brissaud Poitiers

L'émission du 14.07.2000 ne permet hélas pas d'apprécier  cette splendide construction que l'on ne peut deviner qu'aux voûtelettes d'allègement et aux parties supérieures des voûtes du second étage. Heureusement   pour la philatélie et l'histoire ferroviaire, la SNCF a elle même produit un timbre représentant plus complètement le viaduc. C'était en 1941 pour les colis postaux.(
voir encadré)
Le timbre Fontpédrouse porte la référence YT181 avec une faciale de 1F et existe avec la valeur omise (YT81a) Mais bien qu'émis par l'Institut de gravure pour la SNCF, il comporte une erreur flagrante, à notre connaissance jamais signalée, en tout cas, pas dans le "Mangin", puisqu'on voit le viaduc franchi non par un train électrique mais par une locomotive à vapeur, crachant son panache de fumée...
 

Colis postaux YT181 de 1941  et YT198 de 1942   
     

 
LES COLIS POSTAUX
L
a Convention Internationale signée dans le cadre de l'UPU le 3 novembre1880 avait autorisé les États à confier aux exploitants de chemins de fer la gestion de Services de Colis Postaux, c'est à dire du transport et de la livraison de colis légers appelés postaux par analogie avec les paquets dont la Poste en avait au moins le contrôle.

Une convention de 1892 créa de nouvelle prestations, telles l'apport à la gare, la valeur déclarée et la livraison par exprès. Ces valeurs donnaient lieu à la perception de taxes additionnelles constatées par des timbres spéciaux devant être collés sur les bulletins d'expédition aux cases spéciales. Puis furent créées de nouvelles taxes pour "intérêt à la livraison", "colis encombrant", "remboursement".Jusqu'en 1941 chaque catégorie eut une couleur déterminée: ainsi le violet pour "intérêt à la livraison" jusqu'à 1000F du timbre YT181.

Créée en 1937 la SNCF reprit les prérogatives et les activités des anciennes compagnies ferroviaires concessionnaires.

 

Le Matériel roulant
C'est du matériel roulant que le Train jaune de Cerdagne tire son nom et aussi son premier surnom: " le Canari".

14 motrices, 8 remorques fermées et 4 "barques"
(voitures découvertes) constituent l'essentiel du parc aujourd'hui en exploitation. S'y ajoute le parc technique
(chasse-neige, grue, désherbeur, etc.).
Des 18 automotrices d'origine, 14 ont survécu au prix, bien sûr, de quelques rénovations. Les machines
Z102 à 104 et 106 à 109 furent livrées par la Société Alsacienne de Belfort (S.A.B.) à la Compagnie du Midi en 1909 (la 105 a disparu dans l'accident qui devait coûter la vie au commandant Gisclard). Les automotrices 111, 113, 115 à 118 proviennent de la transformation d'anciennes remorques avec un poste de conduite à chaque extrémité, de 1912 à 1921. Elles affichent une puissance de 300 ch grâce à leurs 4 moteurs, offrent 40 places assises et 10 debout, sont longues de 14.9 m et 14,4 m, pèsent respectivement 32 et 28 tonnes et permettent une vitesse maximale en service de 55 km/h. En fait les vitesses pratiquées oscillent entre 30 et 55 km/h...

Depuis l'origine, l'effectif des remorques a fluctué. Les plus populaires en été sont les "barques",  remorques panoramiques découvertes offrant 46 places assises avec des sièges restés en lattes de bois.
La composition des rames varie de 1 à 6 "caisses", mais depuis l'origine, une règle reste immuable: une remorque pour une motrice. Une configuration courante est 2+2, comme celle figurée sur le timbre du 14.07.00.
 

Quel avenir pour le Train Jaune ?
L'exploitation de la ligne à voie métrique de Villefranche à Latour-de-Carol est aujourd'hui intégrée au réseau T.E.R. géré par la région SNCF de Montpellier dans le cadre d'une convention passée avec la région Languedoc - Roussillon. En été 3 allers-retours sont assurés de Villefranche à La Tour-de-Carol auxquels s'ajoutent 3 relations quotidiennes Villefranche - Font-Romeu.
Sa fréquentation affichée est de l'ordre de 250 000 personnes par an, mais l'exploitation est grevée par un très lourd déficit qui dépasse25 millions de francs par an ( soit près de 100franc par voyageur transporté). D'autre part le trafic connaît une tendance à la baisse. Des correspondances mal assurées, limitent le rôle de desserte locale de cette ligne qui revêt de plus en plus le caractère de ligne touristique. Il est vrai que le Train Jaune est en lui même une attraction offerte dans un site de grande qualité. Malheureusement, le matériel roulant, quasi centenaire et de capacité limitée, n'est pas adapté aux grosses fréquentations et appellerait un renouvellement à brève échéance(
*), mais le financement d'une modernisation d'envergure est parfaitement aléatoire.. C'est dire que l'avenir du Train Jaune de Cerdagne est loin d'être garanti en dépit de son ancrage dans le paysage , l'histoire et dans le projet de Parc Naturel Régional des Pyrénées catalanes dont il constitue la colonne vertébrale...

Prêt à poster de 2000

(*)Deux nouvelles automotrices de 84 places ont été inaugurée par le Président de la Région Languedoc - Roussillon, le 8 décembre 2003 pour soulager le matériel centenaire. Ces rames panoramiques , commandées  à la Société Suisse Stadler pour un montant de 9 millions d’euros,  ont été depuis  mise en service .
 

La promotion nationale à laquelle a donné lieu l'émission philatélique du 14-07-00 rendra t-elle l'avenir plus certain?
Dans le passé, il a pu être vérifié que les belles années de fréquentation ont correspondu à des efforts de promotion soutenus. Il faudra plusieurs mois avant de mesurer l'impact réel de la campagne 2000. Souhaitons que ce train puisse au moins devenir centenaire. Pour une nouvelle émission? D'un timbre moins bâclé ? Quoiqu'il en soit, les amoureux de la ligne de Cerdagne comptent beaucoup sur l'inscription du Train Jaune au patrimoine mondial de l'UNESCO pour laquelle un dossier a également été déposé
.