L’ARCHE DES KERGUELEN

Michel Krempper, Association Française de Philatélie Thématique

De nombreuses arches naturelles issues de l’érosion se donnent à voir sur toute la surface du globe. Les diverses Postes mondiales en ont d’ailleurs consacré plusieurs.(Voir sur ce site)
 En dehors des géographes et géologues, les historiens des ponts leur portent un intérêt particulier :  probablement est ce l’observation de ces créations de la nature qui a aidé les hommes  à imaginer la forme architecturale de l’arc voûté. Peu ont cependant autant frappé les explorateurs, navigateurs et hommes de lettres que l’Arche des Kerguelen, qui fut et reste une  curiosité géographique étonnante malgré son effondrement partiel.
Figure 1a.- Couverture du carnet de voyage-"paysages insolites" de 2007



Ce monument naturel est situé au nord-est de l’île principale de l’Archipel des Kerguelen, exactement à 48°43’ latitude Sud et 69°04’ longitude Est au bout d’une petite langue de terre qui l’isole nettement de l’île. Ce fut d’abord un rocher percé très élevé (103 m. environ au dessus de l’île) formant une arche rectangulaire caractéristique qui fut remarquée par tous les navigateurs, depuis la découverte en 1774 jusqu’à la première expédition des frères Rallier du Baty en 1908-1909 : à la deuxième expédition Rallier du Baty en 1913-1914, on constata l’effondrement du toit de l’arche. Seules deux colonnes verticales subsistent de nos jours qui ont conservé le nom originel d’Arche des Kerguelen.

Figure 1b. Carte Maximum, premier jour de l’émission TAAF du 1er janvier 2001


 Issues du volcanisme originel, elles sont composées de basalte. On peut y voir des morceaux de bois silicifié, attestant d’épisodes climatiques antérieurs nettement plus doux qu’aujourd’hui

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Figure 2. Carte géologique des Îles Kerguelen, triptyque des TAAF YT139A

Elle est comme la porte d’entrée de l’archipel. En fait, elle marque l’extrémité sud-est de la Baie de l’Oiseau, la pointe nord-est de cette baie étant le Cap Français.

Figure 3A et 3B. Les Kerguelen, la Baie de l’Oiseau/ Christmas Harbor, le site de l’Arche.

Elle fut d’abord nommée Le Portail  sur la carte du chevalier de Kerguelen lui-même lorsqu’il la voit pour la première fois en janvier 1774, à son second voyage. L’astronome Le Paule Dagelet qui l’accompagna et fit alors un périlleux débarquement ne manqua pas de la mentionner dans son compte-rendu à l’Académie des Sciences.


Figure 4. Le chevalier de Kerguelen et le Hâvre de Noël , triptyque des TAAF YT222A

 

Deux ans après, le capitaine James Cook arrive dans ces îles qu’il appellera d’abord Îles de la Désolation avant de les baptiser  Îles Kerguelen en l’honneur de son prédécesseur. Fair play  mais aussi solidarité entre ces navigateurs de l’extrême ! Il entre dans la même baie le 25 décembre 1776,  nomme celle-ci Christmas Harbour  et baptise le monument Arched - Rock : nom qui lui est définitivement resté, traduit en français par Pointe de l’Arche.  Le Havre de Noël  est l’objet de l’une des plus célèbres gravures qui accompagnent le récit du troisième voyage de Cook, ainsi commentée : «  L’endroit le plus remarquable, la pointe sud, est terminé par un très haut rocher perforé, de sorte qu’il ressemble à l’arche d’un pont. » (souligné par nous. MK )

 

Figure 5A et B . Gravure du Récit de James Cook, 1776,
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timbre des TAAF YT PA 47

 Le dessin du timbre TAAF PA 47 est intéressant à observer et à comparer avec le précédent. La source est la même, à savoir la gravure du récit de Cook. Mais si dans l’illustration du timbre du triptyque, Béquet avait pris quelques libertés, il reste cette fois fidèle au dessin originel.

 

 



Figure 5c: Fdc du Yt Pa47, avec le cachet premier jour figurant les navires de Cook devant l'Arche
 

Lors de son voyage de 1840 avec ses deux bateaux, l’Erebus et le Terror commandé par Crozier, J.C. Ross confirmera les observations de ses prédécesseurs. : « La pointe de l’arche, de 150 pieds de hauteur, est composée de basalte. A l’intérieur, on voit des fragments de bois silicifié inclus dans le basalte. »  C’est cette expédition que commémore le timbre des Terres Australe et Antarctiques Françaises émis en 1979 (réf YT PA 59 ). Au format 48 x 36 mm, la vignette dessinée et gravée par Pierre Béquet également  nous montre le Terror  face à l’arche,  telle que Ross pu les voir depuis l’Erebus.

 
 
Figure 6. Timbre des TAAF, YT PA 59, 1979    


A la même époque, le monument entre dans la littérature. Avec son roman: « Les Aventures d’Arthur Gordon Pym » édité en 1838 Edgar Allan Poe  en fait une description détaillée . Sans doute l’écrivain américain en avait il eu connaissance par les récits des chasseurs baleiniers de Nouvelle- Angleterre, nombreux à se rendre aux Kerguelen dans ces années là. N.Taylor, baleinier, américain également, en laisse un témoignage direct paru en 1851 : « Au port Christmas, une étroite bande de terre s’avance dans la mer, portant un rocher où les lames ont creusé un passage lui donnant l’aspect d’une voûte en ruine. (souligné par nous. MK). C’est la Pointe de l’Arche mais les marins la nomment communément la Porte du Diable

En 1874, c’est à la très célèbre expédition scientifique du Challenger d’aborder l’île.  Ses rapports s’ouvrent sur une grande gravure représentant l’Arche vue du fond de la Baie de l’Oiseau : comme si ce monument était le plus remarquable rencontré par ce navire pendant tout son voyage autours du globe. « Nettement coupée de la falaise se trouve une grande arche naturelle de 150 pieds de hauteur : un grand phénomène de la nature… » commentera Campbell, son commandant, visiblement impressionné.

Figure 7. Gravure illustrant le Rapport de la Mission scientifique Challenger, 1874

 

L’Archipel des Kerguelen devient français en 1893. E. Mercié, Enseigne de vaisseau de l’Aviso l’Eure est chargé de la cérémonie de prise de possession au nom de la République. Il décrira en détail « la fameuse Pointe de l’Arche …vue comme… un magnifique arc de triomphe qui laisse entrevoir le jour à travers son ouverture. »  (souligné par nous. MK)

Les frères Rallier du Baty le suivent en 1908 et seront témoins privilégiés. Après leur première expédition Raymond précise : « l’entrée de la baie a un mille de large avec … au sud un rocher de 150 pieds. La mer , sans relâche, y a creusé une arche large de 100 pieds, par laquelle, d’un certain angle on aperçoit la côte, des falaises et des rochers imposants s’étendant loin à l’horizon. » »  Puis, surprise ! Et de taille ! Lors de la deuxième expédition Rallier du Baty en 1913, on ne peut que le constater : dans l’intervalle de quatre années, le toit de la fameuse arche s’est effondré. …

Constat confirmé en 1931 par le géologue français E. Aubert de la Rue et paru dans son « Etude géologique et géographique de l’Archipel des Kerguelen », ouvrage de référence fruit de quatre campagnes menées avec son épouse en 1928-29, 1931, 1949-50 et 1952  : « Le recul des falaises et les effets de l’érosion marine se traduisent par la présence de rochers aux formes singulières, tels l’Arche aujourd’hui effondrée et formant deux tours comparables à celles de Notre-Dame à l’entrée de la Baie de l’Oiseau. » (souligné par nous. MK)
 
Ce sont ces deux tours que, sous le titre : « l’Arche des Kerguelen »,  représente le timbre émis par les TAAF le Ier janvier 2001. Référencée par YT sous le n° 296, cette vignette postale dentelée 13 mesure 48 x 36 mm. Remercions M. Jubert d’avoir, par la taille-douce, réussi à exprimer la monumentalité des vestiges de ce qui fut la plus extraordinaire des  arches naturelles jamais observées  sur la planète.

 

 

         Figure 8. Timbre des TAAF  YT 296, 2001

 

 

 

 

 

 

Pour finir citons un dernier témoin : Jean-Paul Kauffmann. Avec « l’Arche des Kerguelen », l’écrivain a livré en 1993  une méditation littéraire et poétique qui n’a pas peu contribué à mieux faire connaître ces terres désertes et désolées ainsi que notre arche, leur figure emblématique. D’autant que son livre a fait l’objet de plusieurs rééditions. Merci à lui également.

    

Figures 9 A, B, C. Trois couvertures, trois éditions du récit de J.P. Kauffmann: Flammarion, Table-Ronde/Poche, France –Loisirs, trois illustrations de l’Arche.

Bibliographie sommaire :

Ouvrages et conférences de Gracie Delepine

Récits de Raymond Rallier du Baty

Ouvrages et rapports d’Edgar Aubert de la Rue

Jean-Paul Kauffmann, ouvrage précité

Notices de l’Administration Philatélique des T.A.A.F.

 

Question annexe : « Mais au juste, où sont telles donc ces Îles Kerguelen ? »

Réponse :



Figure 10. « Sous les 50 ° hurlants »