La passerelle des manchots Adélie  - Jean GRILLOT   ( Président de l'Amicale Philatélique de Nanterre)


Peser les manchots, pour mieux les protéger !

Les timbres des TAAF sont consacrés à des thèmes nombreux et variés : si la nature, faune et flore y sont largement représentées, on  trouve aussi des émissions présentant les initiatives techniques et scientifiques développées dans ces territoires dans des buts de développement des connaissances et plus particulièrement pour une meilleure protection de l’environnement.
A ce point la technique est le relai de la recherche scientifique pour expérimenter les solutions proposées par les chercheurs.

 Parmi les moyens techniques ayant eu l’honneur d’être retenus comme sujet d’émission de timbres, figurent des bâtiments, des équipements divers, des matériels, mais pas ou peu d’ouvrages d’infrastructure.

 Sans doute, pour réparer cet oubli, le programme philatélique 2013 a retenu l’émission d’un timbre consacré à une passerelle technique destinée à l’identification et à la pesée électronique des manchots.
C’est finalement au titre de «hors programme 2012 » que ce timbre, devenu entre temps un feuillet, a été émis, lors du Salon Timbres Passion à Belfort le 2 novembre 2012.
       
 

 Fig1 -  Bloc Feuillet définitif

 

 


Un outil scientifique sophistiqué 
 Ce type d’ouvrage est particulièrement original en raison même de son usage très particulier que l’on ne rencontre que dans cette région du globe.
L’objet de cette passerelle est de peser les manchots lors de leur séjour en mer afin de mesurer la variation de leur poids entre leur départ à la mer et leur retour dans la colonie. Reflet de l’abondance des ressources marines, ce dispositif   constitue un nouveau type d’observatoire pour étudier l’effet du changement climatique sur la biodiversité.
 En fait, en réalisant une pesée automatique, on fait coup double : le premier point est, majeur car il concerne l’éthique : en effet, on évite par ce procédé le stress et donc la perturbation liée à la capture de l’animal pour sa pesée. Le second est l’obtention de mesures 24 h sur 24, et quelques soient les conditions météorologiques résultats que seule la pesée automatique permet d’obtenir. Mais une pesée automatique n’est évidemment rendue possible que par une identification automatique…
 Sur l’initiative d’Yvon Le Maho, Directeur de Recherche au CNRS et Membre de l’Académie des Sciences, le premier dispositif de pesée automatique a en fait été installé pour des manchots royaux durant l’été Austral 1991-1992 dans la Baie du Marin, sur l’Ile de la Possession (Archipel de Crozet). Ce dispositif, le premier de ce type, a été rendu possible par la mise au point de l’identification par radio-fréquence (RFID) par Texas Instruments Pays-Bas. Ce développement était encore tout récent puisqu’il faisait encore l’objet de tests. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat avant commercialisation avec cette société, les premiers animaux à être identifiés électroniquement dans le milieu naturel ont été des manchots royaux des TAAF.
 Pour de telles avancées méthodologiques majeures, le rôle des ingénieurs est évidemment primordial et dans l’équipe de Yvon Le Maho c’est l’ingénieur Jean-Paul Gendner bien connu des radio-amateurs, qui conçut le dispositif de Crozet. Celui-ci fit l’objet d’un premier timbre des TAAF.

 


Fig2 Timbre émis par les TAAF en 1993 (YT n°180)
représentant le premier dispositif expérimenté sur l’Ile Crozet

 

 

 Bien sûr, ce dispositif novateur fut rapidement copié par des chercheurs australiens, anglais et américains, à la fois pour des manchots Adélie en Antarctique, mais aussi pour des manchots subantarctiques et australiens.
 Cependant, comme pour tout dispositif pionnier, il avait évidemment des imperfections, qui n’avaient pas été corrigées et n’ont pas été résolues dans les « copies ». Grâce à plusieurs astuces de l’ingénieur Benjamin Friess, le dispositif installé en Terre Adélie est en fait le premier à avoir résolu les difficultés inhérentes à une approche pas si simple qu’elle pourrait paraître. Ecoutons Yvon Le Maho, qui a également supervisé la mise au point du nouveau dispositif : «
 L’un des principaux problèmes auxquels nous avons été confrontés : faire en sorte que des manchots entrants ou sortants ne se retrouvent pas face à face sur la passerelle.

Comme on le voit sur l’image ci-jointe ,  les oiseaux sortants empruntent le couloir le plus central et sortent par la passerelle correspondante. Ils ne longent pas la partie de rocher droite qui leur ferait se retrouver face à face avec des entrants.

Fig3 - Photo de la passerelle montrant les deux passages


 C’est l’inverse pour les animaux qui entrent, leur cheminement naturel les amène à utiliser cette même passerelle. Nous avons donc fait en sorte que les passerelles d’entrée et de sortie soient installées en fonction du passage le plus naturel pour les manchots Adélie. Cela fonctionne remarquablement bien. Et pas seulement pour les ‘résidents’ de notre colonie d’étude… Les manchots Adélie qui,  installés dans des colonies aux alentours, ont l’audace de venir voler des  cailloux à  nos résidents pour faire leur nid  utilisent généralement les bonnes passerelles pour entrer et sortir! »


 Le deuxième défi était d’allonger chaque passerelle afin d’augmenter la durée du passage des manchots et ainsi obtenir une meilleure précision de la pesée. Mais cela augmentait d’autant le risque d’avoir plusieurs manchots passant simultanément sur la passerelle et donc d’avoir des pesées automatiques inexploitables. Chaque passerelle est donc divisée en trois plates-formes, avec un petit espace entre chacune . Deux oiseaux se suivant sur la passerelle peuvent donc être pesés indépendamment. 

 

Fig.4 -  La passerelle du haut sur laquelle on peut apercevoir les 3 éléments qui la composent

 

 

Pour une meilleure insertion dans le milieu naturel, de grosses pierres ont été disposées, qui ne touchent pas les plates-formes (pour évidemment ne pas biaiser la pesée), ceci afin que les passerelles soient mieux intégrées à l’environnement. Il est également très important que le manchot qui arrive devant une passerelle ait la vision de son autre extrémité (ce qui n’est pas le cas s’il doit sauter en hauteur pour y accéder).  La passerelle est donc disposée de sorte à ce que la montée ou la descente soit le moins abrupte possible pour les manchots.

 

Fig.5 -  Le site montrant le trajet des manchots

 

 

 


La passerelle a une dimension de 100 x 50 cm. Elle est composée de trois plateaux non magnétiques fabriqués en fibre de verre.
Le choix de grilles en fibres de verre pour les plateaux a été retenu pour deux raisons essentielles, d’une part  la neige s’accumule moins car elle passe à travers les grilles, et d’autre part, des plateaux métalliques seraient incompatibles avec la RFID (RadioFrequencyIDentification).
Fig.6 -  Gros plan de la passerelle descendante, où l’on peut percevoir le matériau qui la compose. Le panneau de signalisation reflète l’humour des chercheurs et ingénieurs à l’origine de ce projet, mais pas seulement, car le passage d’un homme détruirait les capteurs de pesée, qui ne peuvent tolérer une masse supérieure à 5 kg !

L’identification des animaux par radiofréquence et leur pesée électronique sont ainsi assurées à chacun de leur passage. L’augmentation de poids des manchots en mer durant un intervalle de temps donné constitue à la fois une indication sur l’évolution des ressources marines et sur leur accessibilité en fonction de l’étendue de la glace de mer

 Une performance artistique :

L’idée étant acquise, reste à restituer le dispositif sur un timbre, certes de grand format, mais le challenge n’en demeurait pas moins intéressant. Pour ce faire, Marc Boukebza, Directeur de la Philatélie des TAAF décide de faire appel à Aurélie Baras, artiste designer graphique expérimentée dans le domaine de la production philatélique. A l’âge de 28 ans, elle entame une collaboration avec La Poste
et, depuis 1995, on lui doit plus d’une vingtaine de timbre à l’unité ou en feuillet pour la France et la Nouvelle Calédonie, mais aussi l’illustration d’enveloppes, la création de bloc CNEP, vignettes Lisa et de divers produits philatéliques.
C’est un grand défi pour un artiste de représenter de façon bien vivante des animaux qu’ils n’ont jamais eu la chance d’observer dans la nature. Aurélie Baras a proposé successivement plusieurs dessins modifiés d’une étape à l’autre en fonction des observations formulées notamment par Yvon Le Maho. Une étape décisive a été franchie lorsque celui-ci à fourni à Aurélie Bras des vidéos de passages de manchots sur la passerelle, lui permettant ainsi de traduire remarquablement bien l’allure des Adélies en mouvement .

     

 « Défi m'était lancé d'illustrer et de mettre en scène de façon harmonieuse et lisible la vie des manchots en terre Adélie, dans un contexte scientifique et sous la contrainte du format d'un timbre.
Grâce à la documentation et aux vidéos de Monsieur Yvon Le Maho, j'ai pu découvrir et comprendre les passerelles et leur fonction, et étudier la marche dandinante et si amusante des manchots dans leur milieu naturel.

Ce projet enrichissant a également nécessité une recherche de traité graphique de l'univers de la banquise avec des essais de couleurs, de formes et de placements des différents éléments comme les cailloux et la neige… »

Aurélie Baras


Fig.7 -  Première prémaquette du bloc : la représentation des manchots n’est pas très naturelle, le fond de l’image est (volontairement) flou, on ne voit qu’un élément de la passerelle. Le texte est incomplet.

Fig.8 -  Deuxième prémaquette : les deux passerelles sont représentées, mais la démarche des animaux reste peu naturelle.
Le fond de l’image reste assez effacé. Le texte proposé par Yvan Le Maho est complet.

Fig.9  - Troisième version : le fond du bloc est plus net, restituant mieux l’environnement des manchots. Le nombre de manchots représentés a été augmenté.

Fig.10 -  Quatrième version : la représentation des manchots correspond mieux à leur démarche naturelle, sauf pour celui situé à gauche sur la passerelle descendante. 6 animaux sont dessinés sur le bloc au lieu de 7.

Fig.11 -  Cinquième version : le manchot de gauche a été redessiné, pour bien faire apparaître son mouvement. On aperçoit plus à gauche un autre animal qui vient de franchir la passerelle.

La sixième version sera celle du bloc définitif. Le bon à tirer a été validé le 17 août 2012.
Fig.12 - Bon à tirer signé du 17 août 2012 par Marc Boukebza

Restait à réaliser les Timbres à date pour les Premiers Jours prévus à Belfort mais aussi à la base Dumont D’Urville en Terre Adélie. Aurélie Baras a réalisé trois essais  avant que ne soit validée la version définitive.
 

Fig.13 -  Premier essai de TAD

Fig.14 -  Deuxième essai : les différences portent uniquement
sur le choix de police et de taille des lettres du texte.

Fig.15 Troisième essai : le texte s’inscrit dans une couronne. La date est soulignée. Il manque une majuscule à « Adélie » en bas à droite

Fig.16 Version définitive : la couronne n’a pas été retenue. La mention « 1er Jour » apparaît. Adélie a retrouvé sa majuscule.
Le mot « TAAF » a été déplacé de la couronne vers le centre de l’image.

Fig.17 -  Le TAD définitif pour le Salon de Belfort.

Une carte postale a été éditée à partir d’une photo de l’ouvrage. Elle permet de composer une très belle carte maximum
Fig.18  - Carte maximum avec le cachet de Belfort

Une enveloppe souvenir a également été créée par la maison Farcigny. 
 
Fig.19 Enveloppe Premier Jour signée de l’artiste Aurélie Baras.

 Dans la grande famille des passerelles et des ponts, la passerelle à manchots de Terre Adélie constitue un élément atypique qui devrait intéresser les collectionneurs pontifes, mais qui devrait aussi trouver sa place dans de nombreuses autres collections thématiques.

 Jean Grillot - 2012